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La première loi mondiale sur l’économie sociale a finalement été approuvée par les Nations Unies

Par Rafael Chaves Ávila, président de la Commission scientifique du CIRIEC-Espagne, membre du Groupe d’experts de l’UE sur l’économie sociale et les entreprises sociales (GECES)

Pour leur mission commune d’apporter des réponses efficaces aux grands problèmes mondiaux, tels que les inégalités et la crise climatique, et pour leur mission gouvernementale à résoudre les problèmes économiques et sociaux de leurs territoires et de leurs citoyens, notamment les plus vulnérables, tous les pays de la planète disposent, depuis avril dernier, d’une référence juridique de premier ordre qui légitime et concrétise une nouvelle politique publique : la politique d’économie sociale.

Le 18 avril 2023, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Résolution A/77/L60 intitulée « Promouvoir l’économie sociale et solidaire pour le développement durable », un jalon majeur. Vingt-huit pays de tous les continents ont soutenu cette Résolution, sans aucune opposition. Dans la dernière ligne droite d’une longue marche dont on peut considérer qu’elle a commencé en 2013, lors de la création du Groupe de travail des Nations Unies sur l’économie sociale et solidaire (UNTFSSE), quinze pays ont promu cette proposition avec le soutien des membres et observateurs du Groupe de travail susmentionné. Au long de cette période, plusieurs jalons ce sont succédés, notamment la Résolution ILC110-RII de la Conférence Internationale du Travail du 10 juin 2022 « concernant le travail décent et l’économie sociale et solidaire » et la Résolution 76/135 de 2021 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur « Les coopératives dans le développement social », qui méritent une mention spéciale.

Il est vrai que le titre de cet article se veut provocateur, car les Nations Unies n’adoptent pas de lois en tant que telles. Une Résolution de cette nature est une soft law, car elle n’a aucune force contraignante, mais elle a une force politique suffisante pour inciter les pays qui ont soutenu cette initiative et, surtout, elle constitue un précédent et un point de référence incontestable pour l’élaboration d’instruments contraignants ultérieurs, tant au niveau international qu’au niveau national. Elle a surtout permis de résoudre de nombreuses problèmes, tels que la définition du champ de l’économie sociale. Et les gouvernements nationaux savent désormais ce qu’ils peuvent faire.

Cette Résolution, que j’appelle la « Loi mondiale sur l’économie sociale », comporte les cinq ingrédients nécessaires à une loi de cette nature et ouvre l’espace de l’agenda politique pour le déploiement d’une politique d’économie sociale ajustée à chaque réalité nationale: elle délimite premièrement, son champ d’action, à savoir l’économie sociale et solidaire; elle établit deuxièmement, les fonctions macro ainsi que méso et microéconomiques que ce champ de l’économie sociale joue dans le système ; troisièmement, elle précise le mode de gouvernance de cette politique d’économie sociale ; quatrièmement, elle détermine les politiques publiques à déployer et enfin, clôturant le cycle de cette politique publique d’économie sociale, elle établit des mesures d’évaluation et de suivi. Voyons cela plus en détail.

Cette Résolution apporte tout d’abord ce qui est à mon avis l’une de ses contributions les plus importantes, à savoir la délimitation du champ d’action : l’économie sociale et solidaire, une notion qui a fait l’objet de nombreuses dissensions, voire d’un confusionisme délibéré, et qui a été l’une des principales raisons de l’absence d’avancées politiques jusqu’à présent. Cette délimitation s’effectue à un double niveau, d’une part, en établissant les caractéristiques structurelles que doivent présenter les organisations et les entreprises incluses dans ce champ et, d’autre part, en identifiant les principales formes juridico-entrepreneuriales qui la composent. À cette fin, elle reproduit et souscrit la Résolution susmentionnée de la Conférence Internationale du Travail.

La Résolution définit les caractéristiques structurelles suivantes de l’économie sociale et solidaire : elle englobe les entreprises, organisations et autres entités (1) dont la gouvernance est démocratique ou participative, (2) dont les critères de distribution et d’utilisation des excédents ou des bénéfices et des actifs donnent la primauté aux personnes et à la finalité sociale sur le capital, (3) autonomes et indépendantes (par rapport aux gouvernements et aux entreprises traditionnelles) et (4) qui se fondent sur les principes de la coopération volontaire et de l’aide réciproque.

Cette Résolution indique également, au niveau économique, que les organisations de l’économie sociale opèrent dans tous les secteurs de l’économie, à la fois dans les secteurs formel et informel, en menant des activités économiques, sociales et environnementales d’intérêt collectif ou général, et en visant la viabilité et la durabilité à long terme et la transition de l’économie informelle à l’économie formelle. Au niveau des valeurs, elle indique qu’il s’agit d’organisations qui mettent en pratique un ensemble de valeurs intrinsèques à leur fonctionnement et qui sont conformes à l’attention portée aux personnes et à la planète, à l’égalité et à l’équité, à l’interdépendance, à l’autonomie, à la transparence et à la responsabilité, ainsi qu’à la garantie d’un travail décent et de moyens de subsistance décents.

L’identification des principales formes juridiques et d’entreprises dans ce domaine de l’économie sociale est d’une grande importance. À cet égard, la Résolution reconnaît la diversité internationale, mais précise qu’elle inclut sans équivoque les coopératives, les associations, les mutuelles, les fondations, les entreprises sociales, les groupes d’entraide et les autres entités qui fonctionnent selon ses valeurs et ses principes.

Deuxièmement, la Résolution des Nations Unies établit les fonctions macro-, méso- et microéconomiques que ce champ de l’économie sociale exerce dans le système, qui constituent en fait les champs d’intervention publique, qui définissent les critères selon lesquels l’impact de de l’économie sociale devra être évalué, p.ex. par sa contribution á la création d’emplois ou a la réduction de la pauvreté. Ces champs d’intervention publique comprennent la lutte contre la pauvreté, l’emploi, l’esprit d’entreprise, l’exclusion financière, le développement local inclusif et durable, la transition numérique, la fourniture de services sociaux, la protection de l’environnement, la promotion de l’égalité sociale et des genres, la promotion de la diversité culturelle et de la solidarité, ainsi que la promotion de la démocratie et de la participation des personnes à la prise de décision et aux ressources. La contribution transversale de l’économie sociale à la réalisation des objectifs de développement durable et à leur adaptation au contexte local est explicitement mentionnée.

Plus précisément, la Résolution précise que l’économie sociale et solidaire contribue (1) à l’emploi et au travail décent en défendant les droits du travail, la protection sociale, la reconversion et le développement des compétences, en sensibilisant les travailleurs à leurs droits humains et en développant des partenariats pour améliorer leur capacité de négociation et d’organisation, (2) à l’éradication de la pauvreté et de la faim, en catalysant la transformation sociale par l’augmentation de la capacité de production des personnes en situation de vulnérabilité et en produisant des biens et des services qui leur sont accessibles, (3) l’accès à un financement abordable, (4) l’amélioration du potentiel des entreprises et des compétences entrepreneuriales et de gestion, de la productivité, de la compétitivité, de l’innovation sociale et technologique et des modèles d’entreprise participatifs, (5) le développement économique local et communautaire, (6) la fourniture de services sociaux tels que la santé et les soins, l’éducation et la formation professionnelle, (7) la transition numérique juste et durable, (8) la protection de l’environnement, y compris la promotion de pratiques économiques durables, (9) la promotion de l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes, des jeunes, des personnes handicapées et des personnes en situation de vulnérabilité, (10) la promotion de la diversité, de la solidarité et de la protection et du respect des connaissances et cultures traditionnelles, et enfin (12) la promotion de la démocratie et de l’autonomisation sociopolitique des personnes en ce qui concerne les processus de prise de décision et les ressources, la promotion de l’élaboration de politiques participatives et de tous les droits humains.

Troisièmement, cette Résolution des Nations Unies indique le mode de gouvernance qui doit régir cette politique d’économie sociale : elle doit être multi-niveaux, c’est-à-dire qu’elle doit impliquer les décideurs publics, tant internationaux, du système des Nations Unies, que des gouvernements nationaux et régionaux, les responsables des institutions financières internationales et des banques de développement, ainsi qu’en coopération avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire, en les associant au processus d’élaboration de leurs politiques dans un modèle de co-construction.

Quatrièmement, cette Résolution, dans son premier paragraphe prescriptif (où elle « encourage » les États Membres), définit l’éventail des politiques publiques à déployer dans le cadre d’une politique d’économie sociale. Elle indique qu’elles ne doivent pas se réduire à des mesures isolées, mais prendre la forme de plans, à savoir des stratégies, des politiques et des programmes. Quant aux mesures à mettre en œuvre, elle envisage à la fois celles visant à promouvoir un écosystème favorable à l’économie sociale (un cadre juridique spécifique, l’amélioration de la visibilité de l’économie sociale – avec une référence particulière à son inclusion dans les statistiques nationales -, sa promotion dans les programmes d’éducation, de recherche, de renforcement des capacités et d’entreprenariat), et celles visant à améliorer la compétitivité et la capacité économique et commerciale de ces entités et entreprises (incitations fiscales, accès aux marchés publics, soutien aux entreprises – conseil et autres -, meilleur accès au financement et aux services financiers).

Cinquièmement, et pour clore le cycle de cette politique publique d’économie sociale, la Résolution établit deux mesures d’évaluation et de suivi: elle prie au Secrétaire Général des Nations Unies d’établir un rapport sur l’application de cette Résolution et de suivre la mise en œuvre de cet agenda en lui priant d’inscrire le thème « Promotion de l’économie sociale et solidaire pour le développement durable  » à l’ordre du jour provisoire de la prochaine (soixante-dix-neuvième) session.

Il ne fait aucun doute qu’avec cette Résolution, les Nations Unies ont apporté une contribution décisive à ce que l’on appelle le Momentum de l’économie sociale. Cette année a marqué un avant et un après.

Les Nations Unies viennent d’indiquer la voie à suivre.

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