Marguerite Mendell, Professeure émérite distinguée, École des affaires communautaires et publiques, et directrice de l’Institut Karl Polanyi d’économie politique, Université Concordia. Membre, Conseil consultatif, Global Forum for Social and Solidarity Economy GSEF.
Je suis particulièrement heureuse de contribuer à ce numéro de Social Economy News en tant qu’ancienne étudiante du professeur Arthur Lermer à l’Université Sir George Williams, aujourd’hui Université Concordia, à Montréal. Le professeur Lermer a fondé le CIRIEC-Canada, une section nationale du CIRIEC International, en 1966 avec George Davidovic, alors directeur de recherche de l’Union des coopératives du Canada et cofondateur du CIRIEC International en 1947.
La 10ème Conférence internationale de recherche du CIRIEC sur l’économie sociale, intitulée « Le rôle de l’ESS dans la transition socio-écologique », qui se tiendra à Sciences Po Bordeaux, en France, du 27 au 29 octobre 2025, marque une étape importante, car elle sera l’occasion de signer un accord de partenariat entre le CIRIEC et le GSEF lors du Forum mondial de l’ESS du GSEF à Bordeaux, du 29 au 31 octobre.
La formalisation de la collaboration entre le CIRIEC et le GSEF élargira les possibilités de dialogue entre les disciplines universitaires et les acteurs et réseaux de l’ESS, les mouvements sociaux, les gouvernements locaux et les organisations internationales. L’élaboration de plans d’action conjoints, la concrétisation de l’engagement à échanger des idées et la conception de partenariats de recherche renforceront la capacité du CIRIEC International et du GSEF à documenter les réalités de l’ESS, à identifier les défis et à soutenir la recherche conceptuelle sur l’ESS.
Ce partenariat donnera accès aux connaissances formelles et tacites d’une communauté internationale de l’ESS vaste et en pleine croissance, qui servira de base à une nouvelle épistémologie générative fondée sur la recherche universitaire, l’expérience en constante évolution et l’expérimentation. Outre les connaissances sur la manière de concevoir et de démocratiser les économies locales et régionales dans l’intérêt public et sur la contribution de l’ESS à la transition socio-écologique, ce partenariat abordera de nombreuses questions à un moment critique de notre histoire, où la justice sociale, économique et planétaire, le dialogue ouvert et la pensée critique sont menacés par des régimes autoritaires déterminés à détruire les valeurs démocratiques fondamentales inhérentes à l’ESS.
Il est bien sûr nécessaire de défendre ces valeurs, mais cela ne suffit pas. Des stratégies d’action sont nécessaires de toute urgence. Ce dont nous discuterons pendant plusieurs jours au cours des nombreuses sessions du CIRIEC et du GSEF, c’est de savoir si l’ESS peut résister à ces forces et, si oui, comment.
Alors que le contrat social et les valeurs sous-jacentes qui ont défini de nombreuses démocraties à travers le monde dans l’après-guerre sont minés et dénigrés par la politique et les actions de la droite autoritaire, des contre-mouvements ont émergé au niveau local, dans de nombreux cas sous l’impulsion de l’ESS.
L’ESS est ancrée territorialement ; son engagement envers le lieu est la colonne vertébrale des entreprises, organisations, associations et réseaux de l’ESS. Si les capacités et l’autonomie des gouvernements locaux et régionaux varient considérablement d’une région à l’autre, souvent limitées par des contraintes juridiques, culturelles et institutionnelles, ce qui est commun à beaucoup d’entre eux, c’est la responsabilité croissante de relever les défis sociaux, économiques et environnementaux, auparavant assumés par les niveaux supérieurs de gouvernement. Dans certains cas, les gouvernements locaux assument déjà certaines de ces responsabilités, mais ils sont limités par des systèmes intransigeants de mise en œuvre de programmes cloisonnés. Dans presque tous les cas, l’insuffisance des ressources réduit la capacité des gouvernements locaux à s’acquitter efficacement de responsabilités croissantes et complexes.
Cela dit, des études récentes menées dans plusieurs villes et régions du Nord et du Sud documentent la collaboration entre l’ESS et les autorités locales, qui est capable de résister au désengagement des niveaux supérieurs de gouvernement en formant des partenariats innovants. Cela ne signifie pas que le retrait de l’État-nation soit acceptable, bien au contraire. Cela marque plutôt un tournant important, car de nombreuses administrations locales doivent désormais se tourner à la fois vers l’intérieur et vers l’extérieur.
Qu’entendons-nous par-là ? La capacité des administrations locales à relever efficacement les défis d’une transition socio-écologique nécessite une administration publique plus ouverte, plus flexible et plus agile. Bien que la collaboration et les partenariats avec les organisations, entreprises, associations et réseaux de l’ESS existent dans de nombreux cas et que les processus de co-construction et de co-conception de politiques favorisant l’ESS se multiplient dans de nombreuses régions du monde, afin qu’ils ne soient pas des réponses ponctuelles et ad hoc à des crises ou à des opportunités conjoncturelles, ces processus doivent être institutionnalisés et formalisés par les collectivités locales.
Travailler au-delà des frontières, briser les cloisonnements administratifs, voilà le travail qui doit être accompli en interne par les administrations municipales. Institutionnaliser la collaboration et les processus innovants de co-construction avec les acteurs de l’ESS signifie faire faire appel à l’extérieur. Faire appel à l’extérieur, aux acteurs et aux réseaux de l’ESS, est une étape importante qui se produit dans de nombreuses villes et régions, mais l’innovation en interne reste encore à réaliser.
Et, bien sûr, il y a le grand défi de la cohérence, qui consiste à assurer la coordination ou les liens entre tous les niveaux de gouvernement et l’ESS afin que le travail au niveau local ne soit pas compromis par des priorités ou des politiques contradictoires adoptées par les niveaux supérieurs de gouvernement, y compris le niveau Nord-américain ou supranational et son rôle déterminant dans le soutien de l’ESS au niveau local, régional et national dans plusieurs pays.
Les Nations unies prévoient que d’ici 2050, 70 % de la population mondiale vivra dans des zones urbaines. On ne saurait trop insister sur l’urgence d’adapter les institutions publiques locales. Les partenariats avec l’ESS, engagés dans la réalisation des objectifs désormais imposés à toutes les villes, régions et pays du monde, sont l’espoir pour l’avenir. Cela ne peut se faire sans s’attaquer aux limites imposées par les lourdes barrières institutionnelles et la nécessité d’une coordination avec les niveaux supérieurs de gouvernement. Il existe déjà de nombreuses preuves et connaissances acquises pour le confirmer ; nous avons bien sûr besoin d’en savoir davantage.